Les conflits transfrontaliers : zoom sur les tensions passées et actuelles entre les voisins Inde et Chine

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Intérêts respectifs

La région de l’Himalaya, plus précisément de l’Aksai Chin, est le territoire asiatique à l’origine des tensions profondes entre les deux pays voisins.

Tout d’abord, des tensions religieuses évidentes émergent au niveau de ce territoire composé d’une démographie religieuse mixte ; des communautés de musulmans, d’indouistes et de bouddhistes. Cette région incarne une terre stratégique d’entrée vers la Chine mais aussi d’entrée vers l’Inde, intégrée alors aux Indes britanniques : les colons anglais verront en elle des intérêts économiques notoires. Région aride climatiquement, elle permet d’assurer l’hégémonie des colonies britanniques, séparées de la République de Chine proclamée en 1911, commençant alors à revendiquer son souhait de posséder ce territoire qui selon elle, lui revient. Cette terre quasiment impraticable en raison du climat aride qui y règne, forme un rempart naturel pour les colonies britanniques.
La République chinoise ne sera pas la seule à revendiquer sa volonté d’accéder à la région du Cachemire, quelques années plus tard, à partir de la proclamation de l’indépendance de l’Inde en 1947, la Chine continentale communiste réitèrera son souhait d’y accéder, pour les mêmes raisons stratégiques : se protéger d’une éventuelle intervention armée indienne, qui ne réussirait pas à passer la région, tant l’altitude et le climat la rend difficilement pénétrable.
Ce sera le contexte de guerre froide, mondial, mais aussi existant entre la Chine et l’Inde, qui replacera au centre, l’intérêt que l’on peut prêter à cette région frontalière, similaire à une muraille naturelle, protégeant les uns des autres.


Guerre froide

Plusieurs évènements exacerbent les tensions politiques et économiques entre l’Inde et la Chine autour de la région frontalière tibétaine. La Chine connait une importante évolution politique à partir du début des années 1950, en passant de la République Chinoise, à la République populaire de Chine, régime communiste chinois guidé à sa tête par Mao Zedong. Un nouvel ordre social et économique chinois doit se mettre en place, en s’inspirant des codes soviétiques.
Une logique expansionniste émerge alors en Chine, sortant d’une période de colonisation très importante par l’Occident, elle décide d’entrer en conflit armé avec un nombre important de territoires, comme celui du Tibet par exemple.

Région transfrontalière avec l’Inde, le Tibet sera annexé par la Chine en 1951. C’est une des premières avancée stratégique chinoise considérée, dans ce qu’on appellera postérieurement la guerre « sino-indienne » qui éclatera militairement en 1962. Le Tibet est un pays jouxtant la région dite du « Ladakh indien », région située dans l’état du Cachemire ; territoires asiatiques convoités par la Chine, toujours inscrite dans une démarche impérialiste. L’Inde est quant à elle affaiblie par une situation de confit interne, depuis son indépendance de 1947 des colonies britanniques. Deux états sont nés parmi les anciennes colonies ; l’Inde à majorité hindoue, et le Pakistan à majorité musulmane. Ces deux états ont tous les deux le soucis de se hisser en situation dominante, économiquement, militairement mais aussi culturellement. Ils se disputent ainsi plusieurs terres, dont l’état princier du Jammu-et-Cachemire, territoire se trouvant lui aussi dans les montagnes himalayennes, au confins nord de l’Inde et du Pakistan.
La Chine entre alors comme un troisième acteur dans la course au contrôle de la région himalayenne.

Dans un contexte de guerre froide mondiale, les deux frontières vont se militariser de part et d’autre des régions convoitées. Autour de l’Aksai Chin (jouxtant la province du Xinjiang et le Tibet), et l’Arunachal Pradesh (jouxtant le Nord-est de l’Inde). La montée des tensions arrive à son paroxysme entre les deux pays, Chine et Inde, et la guerre sino-indienne éclate militairement, en 1962.
En parallèle, durant l’automne 1962 dans le reste du monde, la crise des missiles de Cuba occupe la scène mondiale révélant une montée des tensions entre le Bloc soviétique et les Etats-Unis. En Asie c’est la Chine maoïste en désir d’expansion qui s’en prendra militairement à l’Inde, pays non-aligné.


Conflit armé

La Chine communiste lance environ 80 000 de ses hommes à la conquête de l’Aksai Chin et de l’Arunachal Pradesh, front indien défendu par 10 000 hommes seulement, avec un équipement datant de la Seconde Guerre mondiale, hérité des colonies britanniques, donc largement défaillant. Les deux provinces sont ainsi saisies par la Chine de Mao, qui décrète le 21 novembre de la même année un cessez-le-feu, aillant atteint ses objectifs. La Chine s’arrête au bon moment : les Etats-Unis sont sur le point de fournir une aide militaire à l’Inde, pour contrer l’offensive communiste.

L’Arunachal Pradesh sera rendu à l’Inde, mais l’Aksai Chin est jusqu’à aujourd’hui encore une province contrôlée par la Chine, en dépit des revendications de l’Inde, anciennes et actuelles, pour récupérer la région. Se revendiquant comme pays montant et non-aligné, l’Inde prend radicalement position pour ne pas appartenir ni au bloc de l’Est ni à celui de l’Ouest. Ce mouvement des non-alignés comprend 120 Etats en 2012, et commence dès les origines de la Guerre froide.
En 1979, ce mouvement se revendique comme permettant d’assurer «l’indépendance nationale, la souveraineté, l’intégrité territoriale et la sécurité des pays non alignés dans leur lutte contre l’impérialisme, le colonialisme, le néocolonialisme, la ségrégation, le racisme, et toute forme d’agression étrangère, d’occupation, de domination, d’interférence ou d’hégémonie de la part de grandes puissances ou de blocs politiques».
C’est d’ailleurs le Premier ministre indien Nehru, au pouvoir durant le conflit armé de 1962, qui prononcera pour la première fois le terme de « non-alignement » dans son discours de Colombo de 1954.
Pékin s’impose alors, par la force, face à l’Inde post-coloniale de Nehru, se réclamant du pacifisme, donc affaiblie militairement, et ouvertement non-alignée.


La Chine n’a plus à craindre que sa mainmise sur le Tibet soit remise en question. Elle montre que militairement, elle a le dessus, et peut reprendre à tout moment le contrôle d’une frontière. En fort besoin de montrer la force de sa stratégie militaire communiste, la Chine retrouve une crédibilité dans le conflit sino-indien, crédibilité militaire précédemment heurtée par son échec à Taiwan, qui restera sous contrôle de la République de Chine, et non maoïste. Ce n’est pas le contenu de la région qui est convoité par la Chine, mais une soif d’étendue, d’impérialisme asiatique et d’hégémonie dans la région, face à des territoires devenus indépendants qui pourraient ne pas abonder dans sons sens. La priorité de Nehru est dirigée vers le développement économique de l’Inde, sans grand attention donnée au budget des armées, ce qui lui a fait grandement défaut dans le conflit. L’Aksai Chin aura été annexé par la Chine sans accord bilatéral ou international particulier, simplement par le fait de sa supériorité logistique militaire et humaine.
La Chine s’impose à grands pas comme une puissance désormais armée, qui continue chaque jour de s’émanciper un peu plus de la tutelle de l’Union soviétique. Conforter sa frontière Sud, permet à la Chine de continuer son rapprochement politique avec le Pakistan, toujours dans un sens de défi vis à vis de l’Inde.
Les revendications mutuelles, pour l’Inde de l’Aksai Chin, et pour la Chine de l’Arunachal Pradesh, existent encore mais ne constituent plus le même enjeux que dans les années de Guerre froide.


2020

Alors qu’une coopération serait souhaitable entre les deux pays dans le projet de Nouvelle route de la soie chinoise, au moment où l’Inde, tout comme la Chine, sont devenues des puissances économiques à part entière, les tensions héritées de cette guerre sino-indienne de 1962 restent effectives. Faisons un point sur la situation actuelle.

Le 5 mai 2020 environ 250 soldats chinois et indiens se sont affrontés dans l’Himalaya, dans la région de Ladakh, atour de la Ligne de Contrôle Effective faisant office de frontière entre la Chine et l’Inde dans la chaine montagneuse depuis 1962 (depuis la fin de la guerre sino-indienne dans laquelle la Chine a pris l’ascendant transfrontalier sur l’Inde). Récemment, les deux puissants pays asiatiques s’accusent mutuellement de ne pas respecter cette frontière dans l’Himalaya, l’Inde accusant par exemple des incursions chinoises sur son territoire.
La Chine quand à elle, accuse aujourd’hui l’Inde de construire de nouvelles infrastructures, comme des routes terrestres, à l’extrême jonction avec cette ligne, la dépassant parfois, dans les provinces chinoises frontalières. Une sécurisation militaire a été établie fin mai 2020, de part et d’autre de la LAC (ligne of actual control), côté indien comme côté chinois. Des négociations diplomatiques avaient pourtant permis de maintenir une forme de stabilité entre les deux pays, par exemple en permettant de faire renoncer à Pékin son projet de construction de route terrestre sur le plateau himalayen.


L’Inde est un pays qui monte sur la scène internationale d’un point de vue économique. Cela fait une dizaine d’années qu’une classe moyenne émerge progressivement du fait de l’enrichissement économique indien. En parallèle d’une émancipation économique relative, la politique indienne rassemble : elle est fortement nationaliste, conservatrice voire autoritaire. Au pouvoir, c’est le parti nationaliste hindou, le BJP, avec à sa tête le Premier ministre indien Modi, qui n’a pas hésité en 2019, à abroger purement et simplement l’article 370 de la Constitution indienne garantissant l’autonomie de la région du Cachemire, qui est désormais contre la volonté des Cachemiriens séparatistes, rattachée à New Delhi. Soutenu par la majorité indienne nationaliste attachée au Cachemire, les opposants politiques, et « séparatistes » n’ont pas leur place dans le paysage politique indien, ni dans une forme d’autonomie géographique pourtant autrefois acquise.
Le Premier ministre n’hésite pas non plus à recevoir Trump en grandes pompes en Février 2020, souhaitant montrer à son électorat et au reste du monde la consolidation de ses partenariats avec les Etats-Unis, et envoyant par la même occasion un genre de « pic politique » à la Chine.

On pourrait imaginer que cette reprise actuelle des tensions transfrontalières sur le plateau tibétain dépasse le cadre d’une « reconquête » des territoires annexés, mais s’inscrit plus globalement dans un contexte de montée en puissance de l’Inde, qui solidifie ses partenariats américains, avec à ses trousses, une Chine surpuissante qui ne souhaite pas être dépassée, invisibilisée, se plaçant à contrario dans une relation d’éloignement avec les Etats-Unis. Autour de la ligne de contrôle (LAC), la Chine aura déployé jusqu’à 300 000 militaires, contre 120 000 du côté indien. Si les tensions ne semblent pas trop importantes, c’est par le renforcement discret de la présence militaire autour de la frontière himalayenne que l’on repère parfois une exacerbation des tensions, ou une volonté de prouver à son adversaire que la présence ne faiblit pas.  


Ce que l’on appelle le « collier de perles » fait lui aussi partie intégrante de cette démonstration de puissance chinoise à l’encontre de l’Inde ; la Chine a pendant longtemps choisi d’installer sa marine de guerre via des points d’appuis comparés à des perles, le long des zones géopolitiques stratégiques maritimes, comme celles qui bordent l’Océan Indien et Pacifique, mais aussi la mer de Chine méridionale. La Chine procède à des achats, des locations de longue durée ou des installations portuaires et aériennes s’étendant jusqu’en Afrique, consolidant ainsi son hégémonie maritime de longue durée, au moins tout au long du XXIème siècle si ce n’est plus.
L’Inde ne voit pas d’un bon œil cette tactique d’expansion chinoise, bien au contraire, elle la perçoit même comme une attaque directe ; une manœuvre d’encerclement des ports pakistanais, sri-lankais bangladais et même birmans.


Relations d’avenir

De là, peut-on se questionner sur une potentielle guerre économique entre l’Inde et la Chine, tout au long de notre siècle. Cette guerre a en réalité pour partie, déjà commencé, notamment en ce qui concerne la consolidations des partenariats et investissements indiens ou chinois à l’étranger : en Afrique, territoire stratégique par excellence de notre siècle, mais aussi en Amérique latine et dans les Caraïbes. Au-delà des stratégies d’investissement, des stratégies importantes de contrôle des eaux, de construction de barrages notamment (nouvelles stratégies industrielles), divisent les deux nations. Les deux pays cherchent également à avoir l’ascendant économique l’un sur l’autre, par la quantité d’exportations qu’ils ont la capacité de faire dans l’un et l’autre des pays. L’Inde s’appuie quant à elle sur ses nouveaux partenariats avec les Etats-Unis de Trump, et la Russie de Poutine, dans le secteur nucléaire notamment.


Une vidéo explicative en 3 minutes pour saisir les « 7 conflits non-encore résolus » entre la Chine et l’Inde : https://www.youtube.com/watch?v=ilvrhXSSUQ8


L’Inde veut compter en Chine, la Chine veut compter en Inde, et les deux puissances asiatiques souhaitent compter dans le monde. L’hégémonie en Asie est un enjeux crucial pour incarner la tête du continent et le réacteur de son économie à l’étranger.  
Partant d’un conflit transfrontalier, encore effectif, c’est au moment où les deux nations s’émancipent pleinement économiquement et politiquement que les véritables enjeux d’avenir se concrétisent, non plus dans la seule défense et militarisation des frontières himalayennes, mais dans les partenariats et investissements concurrentiels des deux nations.

Dernièrement, dans la nuit du lundi 15 juin au mardi 16 juin 2020, une vingtaine de soldats indiens ont trouvé la mort dans la plus récente confrontation avec l’armée chinoise des deux côtés de la frontière disputée du Ladakh dans le nord de l’Inde. C’est le premier accrochage meurtrier entre les deux armées gardiennes du respect frontalier depuis une quarantaine d’années. « L’armée indienne a d’abord annoncé mardi le décès d’un officier et de deux soldats, évoquant des morts «  des deux côtés  ». En soirée, elle a fait état de 17 autres «  grièvement blessés au champ d’honneur  » qui avaient «  succombé à leurs blessures  ». »

D’après Abraham Denmark, le directeur du programme Asie du groupe de réflexion américain Wilson Center ; “Nous sommes loin de la Troisième Guerre mondiale, mais c’est une situation explosive et dangereuse entre deux puissances nucléaires nationalistes à un moment où l’influence américaine a considérablement diminué”.

Seul l’avenir nous dira si une nouvelle guerre transfrontalière est possible, en attendant, ce sera la guerre économique qui fera rage entre les deux puissances asiatiques.


Sources :
https://www.cairn.info/revue-monde-chinois-2014-2-page-37.htm?contenu=resume
https://www.businessinsider.fr/us/r-india-and-china-agree-to-disengagement-along-disputed-frontier-indian-government-statement-2017-8
https://www.la-croix.com/Monde/Asie-et-Oceanie/Chine-lInde-nouveau-face-face-lHimalaya-2020-06-06-1201097836
https://app.brief.me/article/2020-06-27-10571-la-chine-et-linde-deux-geants-asiatiques-aux-relations-complexes
https://www.franceculture.fr/emissions/les-enjeux-internationaux/inde-levolution-des-relations-avec-la-chine
https://www.youtube.com/watch?time_continue=6&v=_AvNT3vyzr0&feature=emb_title





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