Voilà plus de deux siècles que les pays nordiques – Danemark, Finlande, Islande, Norvège et Suède – ne se sont pas affrontés armes à la main. Depuis la fin de la Guerre Froide, l’espace scandinave connaît une paix relative, la mer Baltique a semblé s’être transformée en une mer pacifique. Or, depuis les récents événements de la fin des années 2000, les pays nordiques ont été contraints de repenser leur politique de défense et de coopération. La réaffirmation de la Russie sur la scène mondiale, via la guerre de Géorgie en 2008 et les événements en Ukraine en 2014, a rappelé le caractère chimérique de cette paix régionale. Davantage réputés pour leurs modèles sociaux et économiques que pour leur capacité militaire, les pays nordiques ont intensifié leurs coopérations dans le domaine de la défense, de la lutte anti-terroriste et de la cyber-sécurité. Le 4 novembre 2009, le protocole d’Helsinki signé entre les cinq voisins nordiques, a donné naissance à la Nordic Defence Cooperation[1], la NORDEFCO. Succédant aux accords de coopération précédents, la NORDEFCO avait pour but d’accroitre la coopération militaire et matérielle entre les pays, de conduire des exercices interarmées, de mener des missions de maintien de la paix en relation avec l’ONU et d’améliorer le dialogue militaire multilatéral avec des organisations internationales telles que l’OTAN ou l’Union européenne. La NORDEFCO devait aussi permettre de clarifier les réponses sécuritaires qu’apportaient ces cinq pays dont certains sont à cheval sur l’OTAN et l’UE (Danemark) et d’autres uniquement membres de l’OTAN (Islande, Norvège) ou de l’Union européenne (Finlande, Suède). À travers cet article, ISD vous propose d’en apprendre davantage sur cette coopération militaire nordique qui a timidement fait son chemin depuis le XIXe siècle.
L’idée de coopération nordique : une difficile solidarité malgré des intérêts géopolitiques communs
Pendant longtemps, la proximité historique, géographique et culturelle des pays nordiques n’a pas été un facteur d’unité évident. Souvent, la solidarité de ces États a fait défaut au regard de l’Histoire. Au XIXe siècle, le mouvement « scandinaviste », porté par le nationalisme romantique n’a pas résisté à la seconde guerre de Schleswig de 1864 quand la Suède et la Norvège refusèrent d’intervenir en soutien au Danemark contre la Prusse – alliée à l’Autriche – qui revendiquait le duché danois du Schleswig. Pareil, pendant la Seconde Guerre mondiale, la Finlande dût mener bataille seule contre l’Union soviétique lors de la Guerre d’hiver en 1939. Il en fut de même pour le Danemark et la Norvège qui ne reçurent aucun soutien de la Suède face à l’invasion de l’Allemagne nazie en avril 1940. Malgré une forte proximité géopolitique, les gouvernements nordiques préféraient davantage les options à court terme et la préservation de leurs intérêts nationaux aux dépens de l’idée « scandinaviste[2] ».
C’est à partir des expériences militaires de la Seconde Guerre mondiale que les pays nordiques décidèrent d’accentuer leur coopération. Le Conseil Nordique fut établi en 1952 et permit la création un passeport commun pour la région, d’un marché commun et une coopération accrue dans les domaines des sciences et de la culture. Cependant, en matière de sécurité et en raison des considérations de chacun durant la période de Guerre froide, les pays nordiques choisirent différentes solutions de défense. Le Danemark, l’Islande et la Norvège optèrent pour l’OTAN dès 1949, la Suède et la Finlande choisirent la voie de la neutralité[3].
La première forme de coopération militaire des Cinq Nordiques se manifesta à travers leur soutien conjoint et massif aux opérations de maintien de la paix de l’ONU, fournissant à eux seuls près de 25% des effectifs nécessaires au déroulement de telles opérations[4]. Ce soutien aux missions de l’ONU était – et est toujours – le levier d’action privilégié de ces États, ne possédant pas de grande force militaire, afin de peser à l’international. Onze opérations onusiennes de maintien de la paix sur treize se déroulèrent avec une participation nordique. Aussi, afin d’optimiser le déploiement des forces en soutien aux opérations onusiennes, la NORDSAMFN (Nordic Cooperation Group for Military UN Matters) fut créée en 1964[5]. Ces « petits États » militaires étaient donc soucieux de faire respecter le droit international et développèrent une réelle expertise dans le domaine de la médiation des conflits.
Après la fin de la Guerre froide : l’intensification de la coopération nordique
Le « nouvel ordre international » issu de la chute du bloc de l’Est, attestait que le multilatéralisme était la « bonne méthode » pour relever les défis globaux[6]. C’est dans ce sens que les pays nordiques développèrent davantage leur coopération dans le secteur de la défense, notamment par la mise en place de projets communs. Dans les années 1990, les Cinq construisirent deux nouveaux modèles de coopération : la NORDAC (Nordic Armaments Cooperation) ayant pour intention de développer des armes et du matériel militaire en commun ; et la NORDCAPS (Nordic Coordinated Arrangement for Military Peace Support), qui remplaçait l’ancienne NORDSAMFN. Cette dernière devait coordonner les entrainements de troupes nordiques dans des situations de maintien de la paix.
Cependant, en pratique, développer du matériel militaire en commun n’est pas chose aisée. Les différentes orientations que prirent les États nordiques au cours de la Guerre froide influencèrent leurs industries et coutumes dans le domaine de la défense. Deux projets nordiques ayant échoué sont d’ailleurs souvent cités. Le SNHP (Standard Nordic Helicopter Programme), devant être construit par le Danemark, la Finlande, la Norvège et la Suède, échoua en 2001 quand Copenhague décida de se retirer du projet prétextant qu’il ne répondait pas à son cahier des charges militaire et préférant commander les hélicoptères italiens EH101. Pareillement, le projet de sous-marin classe Viking fut avorté principalement encore à cause du Danemark qui annonçait ne plus vouloir utiliser de sous-marin dans sa flotte à partir de 2004[7].
La question d’intégration européenne au sein de la coopération nordique posait, évidemment, d’autres complications. Rappelons que le Danemark a rejoint la CEE en 1973, puis la Suède et la Finlande suivirent en 1995. La Norvège, quant à elle, a refusé par deux fois – en 1972 et 1994 – l’adhésion à l’Union européenne. Enfin, l’Islande n’a déposé son projet de candidature à l’UE que tardivement (en 2009). L’exemple de la création du Nordic Battle Group (NBG) en 2008 montre bien les difficultés de cette coopération. Quand des pays, comme la Finlande et la Suède, soutiennent une initiative de défense européenne plus globale au sein de la Politique de Sécurité et de Défense Commune (PSDC), d’autres, notamment la Norvège, se retrouvent en marge de cette coopération du fait de leur non-adhésion à l’UE. Malgré tout, Oslo décida de négocier directement avec l’UE et put participer directement à la force à hauteur d’une cinquantaine de soldats sur 2500[8]…
Cependant, la facilité de coopération interétatique qu’offre l’UE a permis à la Finlande et à la Suède de s’accorder pour davantage d’harmonisation entre les deux États dans le domaine militaire. Helsinki et Stockholm ont l’avantage de s’accorder facilement sur leur priorité stratégique qui est d’assurer leur sécurité, en Baltique et en Laponie, face à la Russie. De ces intérêts communs émergèrent des projets de création de régiments suédois-finlandais et du retour au service militaire obligatoire en Suède, en imitant quelque peu le modèle finlandais[10]. La protection de la frontière de 1300 km, qui sépare la Russie de la Finlande, et la sécurité en Baltique aérienne et maritime en Baltique répondent des mêmes priorités stratégiques.
Enfin, depuis la fin de la Guerre froide, la coopération militaire des États nordiques dans les opérations de maintien de la paix s’est nettement accrue. Créée en 1997, la NORDCAPS a permis d’offrir une meilleure capacité de coordination et d’entrainement des forces nordiques pour les missions de maintien de la paix dans un cadre international bien différent de celui de la Guerre froide. En effet, depuis 1991, la gestion des crises internationales requière davantage l’usage de la force plus que la légitime défense. Pour ces raisons, les troupes doivent être bien mieux équipées et mieux entrainées[11].
La NORDEFCO : un modèle unique de référence en coopération militaire nordique ?
En 2009 une nouvelle impulsion est donnée à la coopération nordique avec la publication du rapport Stoltenberg[12] qui préconise le regroupement des entités de coopération, créées depuis les années 1960, sous un seul et même label nordique. La décision de faire émerger une seule structure répondait à une ambition de rationaliser et d’élever le niveau d’ambition de coopération de défense des pays nordiques[13]. Au-delà de tout ça, les principaux facteurs qui stimulèrent cette coopération accrue résidaient dans le changement – depuis 2008 – de l’environnement sécuritaire et économique européen, mais aussi dans la volonté d’accentuer davantage la coopération dans les opérations internationales de maintien de la paix. C’est ainsi que la NORDEFCO (Nordic Defence Cooperation) vit le jour en 2009
La raison d’être de ce nouvel organe de coopération est sa faculté à produire une capacité militaire dans la coopération multinationale. Une des clés de la NORDEFCO est aussi sa flexibilité. En effet, les nations participent librement aux projets qu’elles veulent. Tout est décidé par consensus, c’est une sorte de système « à la carte ». Les pays peuvent s’organiser autour de projets bi ou trilatéraux sans pénaliser ceux qui ne souhaitent pas y participer[14]. Sur le plan politique, une rotation annuelle des dirigeants est assurée et les ministres de la Défense des pays se réunissent deux fois par an. C’est dans ce sens que la NORDEFCO a créé en 2015 une Swedish-Finnish Naval Task Force[15] dans le but de « répondre à des crises dans l’Arctique et les régions environnantes[16] » en raison de l’intensification des activités militaires russes dans la région – notamment des violations de l’intégrité territoriale des deux pays scandinaves par des avions (voir des sous-marins) russe. Au niveau militaire la NORDEFCO divise son travail dans la COPA (Cooperation Areas), elle-même subdivisée en cinq domaines : (1) Armements, (2) Capacités, (3) Éducation et ressources humaines, (4) Entrainements et exercices, (5) Opérations extérieures
Depuis les années 2010, la NORDEFCO accentue sa coopération dans les nouveaux risques internationaux. La cyberdéfense est plus que vitale aux yeux des Nordiques car leur système de coopération repose avant tout sur le partage d’informations, une cyber attaque paralyserait leurs services vitaux. La coopération a aussi été initiée en matière de lutte contre le terrorisme, les Nordiques en ont fait l’expérience avec les multiples attentats islamistes au Danemark et en Suède et l’attentat du terroriste ultra-nationaliste, Anders Breivik en 2011. Hors des frontières aussi la coopération antiterroriste est nécessaire, les pays nordiques s’en sont rendu compte en 2013 au moment de la prise d’otages de la raffinerie de In Amenas (centre de BP et Statoil), qui fit 67 morts dont 5 Norvégiens[18].
L’accroissement de cette coopération s’est faite aussi dans le contexte de dégradation du cadre géopolitique européen. La Baltique a vu resurgir des tensions oubliées depuis la fin de la Guerre froide et l’Arctique – avec la fonte des glaces – révèle son potentiel énergétique et commercial. Ces nouveaux enjeux conduisent certains pays comme la Russie, le Danemark ou la Norvège à revendiquer des territoires qui leurs semblent naturellement dans leur zone d’influence. Les conséquences de l’élargissement de l’OTAN aux pays baltes (Lituanie, Lettonie, Estonie), dans les années 2000, ont aussi conduit la Russie à adopter une politique de tension face à l’encerclement croissant perçu par Moscou. En conséquence, la guerre de Géorgie en 2008 et le rattachement de la Crimée à la Russie, conséquence de la guerre en Ukraine de 2014, firent que la coopération militaire nordique prit tout son sens[19].
La coopération de la NORDEFCO dans le cadre de la FIAS (Force internationale d’assistance à la sécurité) déployée en Afghanistan, sous commandement de l’OTAN, est souvent pointée comme un modèle idéal de coopération. En avril 2010, une de ces initiatives fut la création et la coordination d’une flotte aérienne de transport commune aux pays nordiques opérants en Afghanistan. Cette initiative se concrétisa par la création d’un circuit logistique propre à la NORDEFCO, par la mise en commun de l’utilisation de C-17 (avion de transport lourd) basés à l’aéroport de Mazar-e-Sharif[20]. Ainsi, la NORDEFCO a pu développer sa propre coordination logistique au sein de la FIAS et offrir le champ à d’autres possibilités futures.
Cependant, la coopération nordique montre aussi quelques carences. Le modèle minilatéral de la NORDEFCO, sa flexibilité « à la carte » sans définition permanente, montre ses limites. En l’absence de structure supranationale, les États peuvent difficilement s’accorder sur des objectifs relativement complexes à achever. Faute de structure angulaire forte, la chercheuse Barbara Kunz notait, en 2016, que cette coopération « restait minimale et concernait des domaines considérés comme peu intéressants (notamment des sujets « mous », comme l’égalité des sexes ou des aspects médicaux…). La NORDEFCO ne constitue donc pas à ce jour une architecture de sécurité unifiée autour de la mer Baltique, d’autant plus que ni l’Allemagne, ni les pays Baltes, ni la Pologne n’y prennent part[21] ». D’autres différences persistent aussi quant à la conduite et de la politique extérieure et des intérêts nationaux de chaque État. La Finlande est d’abord concernée par la Russie immédiatement à sa frontière terrestre, la Norvège aussi mais plus dans les questions qui concernent le Grand nord et l’Arctique. La Suède s’inquiète de la sécurité en mer Baltique et de l’engagement de ses forces à l’étranger. L’Islande manque considérablement de forces armées et est dépendante du parapluie militaire américain. Enfin le Danemark s’inquiète davantage des problématiques de développement et de diplomatie environnementale. On peut explicitement voir une inquiétude commune de ces États face à la Russie, mais pas dans les mêmes domaines.
Conclusion
À l’heure où l’Europe peine à construire une diplomatie et une armée commune, l’alternative de coopération militaire qu’offre la NORDEFCO – à l’échelle d’une sous-région du monde – donne un nouveau souffle à la coopération multilatérale dans un cadre réduit. Même si, comme nous l’avons vu, des efforts sont encore à faire en matière de coordination et d’études approfondies de projets communs, la NORDEFCO permet à ses États membres une meilleure coopération en matière de création de bataillons ou d’escadres navales en commun. Ce système semble aussi être privilégié par les États nordiques en matière de futures luttes antiterroristes et des missions de maintien de la paix à l’étranger.
BIBLIOGRAPHIE
ISO-MARKKU Tuomas, JOKELA Juha, « Nordic Defence Cooperation : Background, current trends and future prospects ? », Fondation pour la Recherche Stratégique, n° 21/13, juin 2013
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KUNZ Barbara, « Fragmentation de l’architecture de sécurité dans la Baltique », Le Champs de Mars, 2017, p. 83-107
PERTUSOT Vivien, « Défense européenne : enfin du nouveau », Politique étrangère, 2015, p. 11-23
SAXI Håkon Lunde, Nordic Defence Cooperation after the Cold War, Oslo, Norwegian
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TRUC Olivier, « Les pays nordiques souhaitent harmoniser leurs défenses », Le Monde, 23 juin 2008
VÉDRINE Hubert, Continuer l’Histoire, Paris, Fayard, 2007
[1]. Coopération de défense nordique
[2]. SAXI Håkon Lunde, « Nordic defence cooperation after the Cold War », Norwegian Institute for Defense Studies, march 2011, p. 32
[3]. JÄRVENPÄÄ Pauli, « NORDEFCO : love in a cold climate ? », International Centre for Defence and Security, 2017, p. 1
[4]. SAXI Håkon Lunde, op.cit., p. 8
[5]. ISO-MARKKU Tuomas, JOKELA Juha, « Nordic Defence Cooperation : Background, current trends and future prospects ? », Fondation pour la Recherche Stratégique, n° 21/13, juin 2013, p. 3
[6]. VÉDRINE Hubert, Continuer l’Histoire, Paris, Fayard, 2007, p. 11
[7]. ISO-MARKKU Tuomas, JOKELA Juha, op.cit., p. 4
[8]. Ibid, p. 5
[9]. https://cs.wikipedia.org/wiki/NORDEFCO
[10]. TRUC Olivier, « Les pays nordiques souhaitent harmoniser leurs défenses », Le Monde, 23 juin 2008
[11]. ISO-MARKKU Tuomas, JOKELA Juha, op.cit., p. 4
[12]. Rapport écrit par Thorvlad Stoltenberg, ancien Ministre des Affaires étrangères de Norvège de 1987 à 1989 et de 1990 à 1993.
[13]. PERTUSOT Vivien, « Défense européenne : enfin du nouveau », Politique étrangère, 2015, p. 16
[14]. JÄRVENPÄÄ Pauli, op. cit., p.3
[15]. KUNZ Barbara, « Fragmentation de l’architecture de sécurité dans la Baltique », Le Champs de Mars, 2017, p. 104
[16]. http://www.opex360.com/2015/11/04/la-suede-la-finlande-mettent-sur-pied-force-navale-conjointe/
[17]. http://www.navyrecognition.com/index.php/news/defence-news/2017/december-2017-navy-naval-forces-defense-industry-technology-maritime-security-global-news/5771-swedish-finnish-naval-task-group-sfntg-reaches-initial-operational-capability.html
[18]. ISO-MARKKU Tuomas, JOKELA Juha, op.cit., p. 7
[19]. KUNZ Barbara, op.cit., p. 85
[20]. JÄRVENPÄÄ Pauli, op.cit., p. 9
[21]. KUNZ Barbara, op.cit., p. 92