Les enjeux de la crise à la frontière ukrainienne

Les enjeux de la crise à la frontière ukrainienne

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Fin octobre 2021, des vidéos montrant des mouvements de troupes russes en direction de la frontière ukrainienne ont circulé. Très vite les Etats-Unis et les européens ont accusé la Russie de déployer 100 000 soldats pour préparer une invasion. Si Moscou nie les accusations d’invasion et ne donne pas d’explications sur les exercices militaires effectués, la tension monte entre la Russie et les Occidentaux, tandis que les sources de divergences se multiplient. 

Les sources du conflit 

C’est en 2004 que l’Ukraine se rapproche de l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique nord) et de l’Union européenne (UE). En effet, lors de la révolution orange, les ukrainiens contestent l’élection frauduleuse du candidat pro-russe Viktor Ianoukovitch et trouvent du soutien auprès des Occidentaux qui permet à terme d’annuler le scrutin. Si finalement en 2010, il arrive au pouvoir et promet d’assurer la continuité des négociations afin de créer un accord de coopération avec l’UE, il cède à la pression russe et fait face, en 2014, à la révolution de  Maïdan et à sa destitution. 

En réaction, la Russie décide d’annexer la Crimée en mars 2014 et affirme son soutien aux séparatistes pro-russes dans le Donbass à l’Est, conduisant à une guerre qui dure depuis huit ans. Si Moscou intervient autant dans la région, c’est pour aboutir à une intégration de l’Ukraine dans l’Union économique asiatique ou encore l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), mais surtout, pour empêcher tout élargissement de l’OTAN aux anciens pays de l’URSS. Olivier Schmitt, directeur d’études et de recherches à l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) explique que « Vladimir Poutine veut former un cordon de sécurité autour de la Russie, formé de pays non-hostiles. Mais sa définition de ‘l’hostilité’ est large ». 

De son côté, le président ukrainien Volodymyr Zelensky, après son élection en 2019 a affirmé qu’il souhaitait rétablir la paix avec le Donbass et surtout, intégrer l’OTAN. Ce rapprochement avec l’OTAN, se concrétise depuis 2016 par un soutien en matière de cybersécurité, de logistique et de communication mais aussi à l’entraînement de soldats ukrainiens. 

Si l’amassement de troupes russes à la frontière ukrainienne avait déjà eu lieu le 1er avril 2021 pour des exercices militaires en réponses à des activités menaçantes de l’OTAN, avant d’être retiré un mois plus tard, ce qui change aujourd’hui c’est que les mouvements ont permis à la Russie d’exiger des garanties de la part des Occidentaux comme conditions de désescalade selon Alexandra Goujon, maîtresse de conférences à l’université de Bourgogne et spécialiste de l’Ukraine. 

Des réactions internationales sans attente 

Mercredi 1er décembre, en réponse à l’inquiétude de l’Ukraine, Anthony Blinken, chef de la diplomatie américaine a affirmé que les plans de la Russie incluent « des efforts en vue de déstabiliser l’Ukraine de l’intérieur ainsi que des opérations militaires à grande échelle ». En réponse, la porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova a accusé l’Ukraine de renforcer ses troupes dans l’est du pays et de saboter le processus de paix entamé en 2015 avec les séparatistes en prévoyant des exercices militaires en présence de troupes étrangères pour l’année prochaine. 

De même, Sergueï Lavrov, chef de la diplomatie russe, a accusé les Occidentaux de vouloir « dicter comment les forces armées russes doivent se comporter sur leur propre territoire », tandis que le président Vladimir Poutine a proposé d’entamer des négociations portant sur l’élargissement de l’OTAN vers l’Est et le déploiement des systèmes d’armement de l’Alliance atlantique près de la frontière russe. 

Face à ces déclarations, l’Ukraine a demandé aux pays de l’OTAN, réunis à Riga de dissuader Moscou d’agir. Lors de la réunion de l’OTAN du 1er décembre, Anthony Blinken a contre-attaqué en mentionnant des sanctions économiques et en invitant le Kremlin à résoudre cette crise par la voie de la diplomatie. 

Dans un communiqué publié par l’Elysée le 6 décembre, les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Allemagne, des Etats-Unis, de la France, de l’Italie et du Royaume-Uni ont « exprimé leur détermination à ce que la souveraineté de l’Ukraine soit respectée » et ont rappelé la nécessité pour la Russie à se réengager dans les négociations avec l’Ukraine, notamment dans le cadre du groupe « Normandie » qui est sous l’égide de l’Allemagne et de la France. De même, l’administration Biden avait déclaré que les Etats-Unis étaient prêts à augmenter leur présence militaire en Europe de l’Est mais qu’en cas d’invasion, ils préfèrent privilégier la combinaison de plusieurs éléments de dissuasion : un soutien à l’armée ukrainienne, des sanctions économiques et une augmentation du soutien auprès de leurs alliés de l’OTAN. 

Après un entretien téléphonique avec Vladimir Poutine, Joe Biden a menacé Moscou de « conséquences économiques comme il n’en a jamais vu » lors d’une conférence de presse tout en écartant l’envoi de troupes américaines, l’Ukraine ne faisant pas partie de l’OTAN. Pour autant, John Kirby, porte-parole du Pentagone a déclaré que des armes légères et des munitions seraient envoyées. De son côté, le chancelier allemand Olaf Scholz a déclaré que toute invasion russe aurait des conséquences sur le gazoduc Nord Stream 2. Le ministère des affaires étrangères français, a, pour sa part, averti la Russie de « conséquences stratégiques massives ». 

Des tentatives de discussion en échec 

Le 17 décembre, sur son site, le ministère des Affaires étrangères russe a dévoilé deux projets de texte, un « Traité entre les Etats-Unis et la Fédération de Russie sur les garanties de sécurité » et un « Accord sur les mesures pour assurer la sécurité de la Fédération de Russie et des Etats membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord ». Cet « ultimatum de Moscou » exige par exemple que soient « juridiquement fixés : le renoncement à tout élargissement de l’OTAN [vers l’est], l’arrêt de la coopération militaire avec les pays postsoviétiques, le retrait des armes nucléaires américaines de l’Europe et le retrait des forces armées de l’OTAN aux frontières de 1997 », sont ainsi visés 14 Etats d’Europe orientale et des Balkans, devenues membres de l’OTAN après la chute de l’Union soviétique. Implicitement, ces textes affirment que l’OTAN serait obligée d’abandonner tout projet d’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie.

Depuis, les rencontres s’enchaînent mais aucune solution n’a été trouvée pour le moment. Si Anthony Blinken maintient sa position en défendant l’importance de passer par la voie diplomatique pour faire baisser les tensions, son homologue russe, Sergueï Lavrov, a rappelé que le Kremlin attend des réponses à ses propositions pour désamorcer la crise. 

Le 21 janvier, Anthony Blinken et Sergueï Lavrov se sont rencontrés à Genève. Comme attendu aucune avancée concrète n’en est ressortie et la discussion a seulement débouché sur l’engagement du chef de la diplomatie américaine à transmettre la semaine prochaine des idées sous forme d’une réponse écrite aux demandes russes. Ce n’est qu’ensuite qu’un sommet aura lieu entre Vladimir Poutine et Joe Biden. Pour maintenir la pression, Anthony Blinken a demandé à Moscou de retirer ses troupes, s’élevant à 120 000 soldats équipés, et d’apporter la preuve que la Russie n’avait pas l’intention d’envahir l’Ukraine. Un nouvel élément ressort de cette rencontre. En effet le ministre des affaires étrangères russe a précisé que la demande du Kremlin s’étendait à la Bulgarie et à la Roumanie, la réponse du Premier ministre roumain Kiril Petkov c’est fait sans appel, la Roumanie a fait son choix en rejoignant l’OTAN. Pour affirmer son opposition, Emmanuel Macron a annoncé que la France pourrait engager des militaires en Roumanie dans le cadre d’une éventuelle augmentation de la présence de l’OTAN. 

Pour autant la situation devient de plus en plus critique. Le 21 janvier, 200 trains transportant des brigades motorisées faisaient route vers le Belarus, où sont prévues des manœuvres conjointes en février alors que des unités sont d’ores et déjà déployées près de la frontière entre la Pologne et le Belarus. De même, des exercices navals dans l’Atlantique, l’Arctique, le Pacifique et la Méditerranée mobilisant 140 navires de guerre ont été annoncés. 

Pour le moment et pour faire face, les Etats-Unis ont transféré 200 millions de dollars d’équipements militaires, auparavant stockés aux Pays Baltes vers l’Ukraine tandis que le Royaume-Uni a annoncé l’envoi d’armements à Kiev. Ne pouvant agir sur le plan militaire, les Etats-Unis envisagent des sanctions bancaires et l’impossibilité de faire des transactions en dollars. 

Dernière déclaration en date, le ministère des Affaires étrangères britannique accuse le gouvernement de russe de chercher à installer un dirigeant pro-russe au pouvoir en Ukraine. Les noms de Sergueï Arbouzov, de Volodymyr Sivkovytch, d’Andriï Klouïev ou encore de Mykola Azarov ont été évoqués. Ces déclarations sont préoccupantes et ont conduit à la démission du vice-amiral Kay-Achim Schönbach. chef de la Marine allemande, après avoir qualifié ce scénario d’ineptie. 

L’unité occidentale est toutefois mise à mal par les récentes positions allemandes. Berlin a refusé de donner son feu vert à l’Estonie pour livrer à l’Ukraine des armes d’origine allemande et a interdit son espace aérien à des avions du Royaume-Uni transportant des armes et des munitions en Ukraine en arguant que ces actions ne feraient qu’augmenter la tension. De même, le ministre allemand de l’économie a proposé un projet de coopération dans les énergies renouvelables pour réduire les tensions. 

Au sein de l’Union européenne, cette crise a mis en lumière des divisions internes. Concernant le projet Nord Stream 2, le chancelier Olaf Scholz s’est engagé auprès des Etats-Unis à bloquer sa mise en service si la Russie attaquait l’Ukraine. De même, l’Allemagne et la France sont toujours opposés à l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN, anticipant les conséquences sur leurs relations avec la Russie, alors que de leurs côtés, la Pologne et les Pays Baltes n’y voient aucun inconvénient. 

Les prochaines semaines seront donc décisives et tout repose sur les pourparlers engagés entre Moscou et Washington. Pourtant, les positions inconciliables des deux parties ne permettent pas d’espérer une amélioration rapide de la situation. 

Sources:

L’article à lire pour comprendre les tensions entre l’Ukraine et la Russie (francetvinfo.fr)

Ukraine : dernier ballet diplomatique entre Washington et Moscou (courrierinternational.com)

Statu quo dans le bras de fer entre Moscou et Washington sur l’Ukraine | Les Echos

Tensions entre la Russie et l’Ukraine : troupes massées à la frontière, Moscou mis en garde par Washington… Le point sur la situation (lemonde.fr)

Crise en Ukraine : Joe Biden sème le trouble par ses propos contradictoires sur la menace russe (lemonde.fr)

https://www.huffingtonpost.fr/entry/londres-accuse-poutine-davoir-deja-planifie-son-occupation-de-lukraine-des-absurdites-pour-moscou_fr_61ed0dbfe4b03216750bb30b

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