Le terrorisme est souvent assimilé à sa forme la plus importante aujourd’hui, le terrorisme islamiste. Cependant depuis une dizaine d’années, les actes terroristes motivés par des idéologies d’extrême-droite sont de plus en plus fréquents, ce qui commence à modifier l’image ancrée du terrorisme. Pittsburgh, Christchurch, Utoya, El Paso, Hanau sont autant de noms rendus tristement célèbres à cause du terrorisme d’extrême-droite.
La croissance des violences issues d’individus ou de groupuscules mus par des idéologies d’extrême-droite semble constituer un retour vers le passé. Cependant ce type de terrorisme prend aujourd’hui des formes nouvelles, nourri par des idéologies actualisées au contexte contemporain. Ces violences restent moins présentes que celles du terrorisme islamiste et sont inégalement réparties dans les pays concernés.
La menace n’est pas globale car est principalement présente aux États-Unis et dans une moindre mesure dans les pays d’Europe de l’ouest (en particulier au Royaume-Uni, en France et en Allemagne), dans lesquels elle possède un long héritage. Elle trouve aujourd’hui ses sources dans des problèmes propres à ces sociétés. Il convient donc de se poser la question de la définition du terrorisme d’extrême-droite et de sa différence avec l’extrême-droite, ainsi que des tendances actuelles qui le traversent.
Qu’est-ce que le terrorisme d’extrême-droite ?
Le terrorisme est généralement compris comme l’emploi de la terreur à des fins idéologiques, politiques ou religieuses mais il n’existe pas de définition internationale commune. Le terme remonte à la Révolution Française et apparaît dans le dictionnaire en même temps que se façonne un terrorisme d’Etat par les partisans de Robespierre. Le terrorisme est vu comme une forme de résistance par celui qui le pratique, pour qui la cause défendue justifie l’utilisation de tous les moyens. Si le terme de terrorisme n’a lui-même de définition consensuelle, la notion de terrorisme d’extrême-droite est encore plus difficile à déterminer. Beaucoup de mots gravitent autour de ce terme qui est d’autant plus difficile à qualifier que les idéologies le motivant s’étalent sur un large spectre, que ses cibles et buts sont aussi variés.
Les mouvances terroristes d’extrême-droite ont pour dénominateur commun le racisme. Nous pouvons aussi mentionner l’homophobie, le fascisme, le nationalisme extrême ou le nativisme. Le terrorisme étant un moyen d’action et non une idéologie, ces mouvances voient la violence comme un outils légitime pour combattre des ennemis perçus comme des menaces directes à la nation ou à la « race ». Les buts de ces violences sont variés, et peuvent aller d’une volonté de durcissement du gouvernement à un objectif de guerre civilisationnelle. Le terrorisme d’extrême droite doit donc rester séparé de tout parti politique dans son analyse du fait de l’utilisation d’un certain type de violence voué à provoquer la terreur, ce qui lui est propre.
Le terrorisme d’extrême-droite n’est aujourd’hui pas considéré comme un terrorisme religieux car il est concentré principalement sur l’identité dite raciale et non l’identité religieuse. De plus, il ne partage pas les buts du terrorisme religieux (créer une théocratie, vider le territoire des autres religions ou provoquer l’apocalypse). On parle donc plutôt de terrorisme idéologique, ce qui est aussi le cas du terrorisme d’extrême gauche. La violence est motivée par une idéologie, parfois issue de théories complotistes.
Une nouvelle vague de terrorisme ?
« Les États membres sont préoccupés par la menace croissante et de plus en plus transnationale du terrorisme d’extrême droite. » alerte le Comité contre le terrorisme de l’ONU (le CTED), en avril 2020. En effet, plusieurs rapports témoignent d’une croissance exponentielle de cette forme de terrorisme. Le rapport Index Global du Terrorisme (GTI), publié en novembre 2020 et produit par l’Institut pour l’économie et la paix (Think Tank australien dont le point de vue n’est pas neutre) rapporte une montée inquiétante du terrorisme d’extrême droite en Occident qui a triplé en 5 ans, soit une hausse de 320% (le rapport comprend dans le terme “Occident” les pays suivants : Autriche, Australie, Andorre, Belgique, Canada, Danemark, Finlande, France, Allemagne, Irlande, Islande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Nouvelle-Zélande, Norvège, Portugal, Espagne, Suède, Suisse, Royaume-Uni et Etats-Unis). Il souligne aussi que 89 des 108 morts du terrorisme en 2019 y sont attribuables à l’extrême-droite.
Parmi les attentats terroristes d’extrême-droite les plus importants dans la période contemporaines, nous pouvons citer le bombardement d’un bâtiment fédéral à Oklahoma en 1995, tuant 185 personnes ; les attentats d’Oslo et d’Utoya en 2011, tuant 77 personnes ; ceux de Pittsburg en 2018 qui ont causé la mort de 11 juifs dans une synagogue ; les attentats d’El Paso en 2019 tuant 23 personnes dans un supermarché ; ceux de Christchurch contre deux mosquées en Nouvelle-Zélande la même année, coûtant la vie de 51 personnes ; ou encore ceux de Hanau début 2020, qui ont visé des bars à chicha et provoqué la mort de 11 personnes.
Quelle est la place de cette résurgence du terrorisme d’extrême droite dans l’histoire du terrorisme ? Le concept de « vagues de terrorisme » a été théorisé par David Rapoport en 2004, classifiant des cycles successifs de formes de terrorisme moderne. Il dénombre ainsi quatre vagues de terrorisme : le terrorisme anarchiste à partir des années 1870 et jusqu’à la première guerre mondiale, le terrorisme anti-colonial entre les années 1920 et 1960, le radicalisme d’extrême-gauche des années 1960 à 1980 et enfin le terrorisme religieux, en particulier islamiste, depuis 1979 et la révolution Iranienne ainsi que l’invasion soviétique de l’Afghanistan. Selon Rapoport, le terrorisme d’extrême-droite actuel ferait partie de cette quatrième vague ou alors serait présent dans chaque vague. En revanche, dans son article “Right-wing Terror : a fifth global wave ?”, Vincent A. Auger se pose la question d’une éventuelle cinquième vague, d’un nouveau cycle de violences indépendant et successif aux autres vagues. La question reste donc en suspens et sa réponse dépendra de l’évolution des actes terroristes d’extrême-droite.
Cependant, il convient d’étudier ces chiffres sur un temps long afin de prendre la mesure de la menace. Selon un rapport du CSIS (centre de recherche américain dirigé par Seth G. Jones, chercheur et politicien ayant notamment conseillé l’armée américaine dans ses opérations extérieures), les attaques de ce type sont passées de moins de 5 par an entre 2007 et 2011 à entre 11 et 14 entre 2012 et 2016 jusqu’à 31 en 2017 aux Etats-Unis. Selon le rapport d’Europol sur la situation du terrorisme dans l’Union Européenne de 2018, ces attaques y seraient passées de 0 en 2012, à 9 en 2013, 21 en 2016 et 30 en 2017. Le terrorisme d’extrême droite reste donc beaucoup moins létal que le terrorisme islamiste mais est une menace grandissante pour la sécurité publique, en particulier aux Etats-Unis. Le terrorisme d’extrême-gauche existe aussi, mais est aujourd’hui très peu létal.
Le renouveau d’une forme de terrorisme ancienne
Ce type de terrorisme s’inscrit dans une continuité historique remontant par exemple aux violences du Ku Klux Klan aux États-Unis. Cependant, il prend aujourd’hui des formes nouvelles car est motivé par des causes contemporaines.
La motivation principale de ce terrorisme est la peur liée à l’immigration, perçue comme excessive. Cette peur alimente des théories complotistes comme celle du Grand Remplacement, selon laquelle la population européenne serait délibérément et progressivement remplacée par des populations immigrées venues d’Afrique ou du Moyen-Orient, et la population américaine par des immigrations venues d’Amérique latine, avec la complicité des élites politiques, intellectuelles, médiatiques… La théorie est ancienne mais a été re-popularisée par Renaud Camus en 2010, dans son essai éponyme. Certains auteurs d’attentats étaient adeptes de cette théorie, comme ceux d’El Paso ou de Christchurch. La croissance du terrorisme islamiste a aussi largement motivé certaines mouvances d’extrême-droite à utiliser la violence, se présentant comme un rempart à cette menace.
D’autres éléments conjoncturels pourraient avoir participé à l’essor du terrorisme d’extrême droite. C’est notamment le cas de l’élection de Barack Obama aux États-Unis, ou encore celle de Donald Trump et de sa rhétorique tenue lors de certains meetings, en répétant par exemple le mot invasion, entretenant l’idée d’une invasion hispanique venant du sud du territoire. La crise économique, la croissance du taux de chômage, la circulation de la désinformation ou encore les restrictions de libertés liées à la pandémie de Covid-19 sont aussi des éléments favorisant cette croissance.
Face à ces nouvelles « menaces », le terrorisme d’extrême droite s’est renouvelé dans ses moyens d’actions et d’organisation. Le changement principal est l’utilisation des réseaux sociaux qui en sont devenus un outil incontournable pour échanger, recruter, publier des manifestes… Les mouvances utilisent des réseaux sociaux distincts comme 8chan, mais aussi beaucoup plus communs comme Twitter ou Instagram, dont les entreprises participent à la lutte contre ces groupes. Cette dimension a favorisé la transnationalisation des réseaux terroristes d’extrême-droite.
Cette façon d’utiliser les réseaux sociaux n’est pas sans rappeler les pratiques utilisées par les groupes terroristes islamistes. Sous certains aspects, le terrorisme d’extrême droite tel qu’il existe aujourd’hui s’inspire du terrorisme islamiste, de façon paradoxale. Les deux formes de terrorisme partagent par exemple les mêmes techniques de dissimulation et il a été remarqué que celui d’extrême-droite perpétrait plus d’attaques de masse que dans les décennies post Seconde Guerre mondiale.
Des systèmes juridiques inégalement adaptés à la menace
Beaucoup considèrent que les pays touchés ne sont pas encore prêts à lutter contre cette menace. D’abord, il est parfois difficile de savoir ce qui relève du terrorisme ou non en fonction des définitions attribuées au terrorisme dans chaque État. De plus, il est plus fréquent que les auteurs de ces actes ne soient pas affiliés à des groupes, contrairement au djihadisme, ce qui les rend également plus difficiles à anticiper. En France, c’est la DGSI qui s’occupe de lutter contre ce type de terrorisme et qui annonce ponctuellement déjouer des projets d’attentat. Par exemple, en novembre 2018, elle avait annoncé avoir déjoué un projet d’attaque visant le président de la République, qui a ensuite mené à la mise en examen de plusieurs personnes pour “association de malfaiteurs terroriste criminelle”.
Le droit américain, quant-à-lui, distingue le terrorisme international du terrorisme intérieur (domestic terrorism) dont les actes sont commis par des citoyens américains et ne sont pas considérés comme un crime fédéral. A plusieurs reprises, le FBI a déploré le manque de moyens alloués à la lutte contre la menace issue de l’extrême-droite du fait de la focalisation du gouvernement sur le terrorisme islamiste dans le cadre de la “Lutte contre la Terreur”.
Le rôle de la presse dans la prise de conscience du problème et la lutte contre le terrorisme d’extrême-droite
Les journaux ont un rôle important à jouer dans la lutte contre cette menace. Les moyens de lutte contre le terrorisme sont généralement mis en place sous la pression de la population, d’après son exigence de sécurité. Par la manière dont les journaux présentent les attentats d’extrême droite, la façon dont ils transmettent les données et analysent les rapports, ils orientent la perception de ce terrorisme dans l’opinion publique et indirectement les actions entreprises au niveau gouvernemental pour lutter contre ce dernier.
Les articles s’emparent généralement du sujet au lendemain d’attentats significatifs ou parfois après des rapports issus de centres de recherche, aux résultats retentissants comme celui du GTI. En effet, le terrorisme a pour but de causer un traumatisme qui change la vision d’une ou de plusieurs sociétés d’elle(s)-même(s) et de leur sécurité. En ce qui concerne le terrorisme islamiste, ce sont les attentats contre Charlie Hebdo ou du 13 novembre 2015 qui ont joué ce rôle en France, tandis qu’aux États-Unis, c’est bien sûr le 11 septembre. Ils continuent de faire référence du fait de l’ampleur de l’attaque et de la terreur engendrée. Cependant, les actes terroristes d’extrême-droite se multipliant, ils commencent aussi à faire date même si cela reste à une moins grande ampleur que les attentats islamistes car ils sont moins nombreux et génèrent moins de morts. Nous pouvons citer les attentats d’Oslo pour les européens et Oklahoma ou El Paso aux États-Unis, nous pouvons aussi mentionner les attentats de Christchurch en Nouvelle-Zélande. Tous ces événements créateurs d’émotion nationale voire internationale, participent à rendre la menace de terrorisme d’extrême droite de plus en plus évoquée dans les médias, étudiée et analysée.
Sources
– ATRAN Scott, «Djihadistes et terroristes d’extrême droite, des alliés objectifs», Tribune, L’Obs, 25/04/2019. En ligne: https://www.nouvelobs.com/monde/20190425.OBS12084/tribune-djihadistes-et-terroristes-d-extreme-droite-des-allies-objectifs.html
– AUGER, Vincent A. “Right-Wing Terror: A Fifth Global Wave?” Perspectives on Terrorism, vol. 14, no. 3, 2020, pp. 87–97. JSTOR, www.jstor.org/stable/26918302.
– BERGENGRUEN Vera, HENNIGAN W.J, «’We are being eaten from within.’ Why America is losing the battle against white nationalist terrorism», Time, 08/08/2019. En ligne: https://time.com/5647304/white-nationalist-terrorism-united-states/
– CAMUS Jean-Yves, « Les militants de l’ultra-droite attendent l’ultime confrontation des civilisations », Le Monde, propos recueillis par JOHANNES Franck, 26/12/2020, https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/12/26/les-ultras-attendent-l-ultime-confrontation-des-civilisations_6064540_823448.html
– G. JONES Seth, «The rise of far-right extremism in the United States», CSIS Briefs, 07/11/2018. En ligne: https://www.csis.org/analysis/rise-far-right-extremism-united-states
– Institute for Economics & Peace. Global Terrorism Index 2020: Measuring the Impact of Terrorism, Sydney, November 2020. Available from: http://visionofhumanity.org/reports
– MARX Willem, « Jihadist plots used to be US and Europe’s biggest threat. Now it’s the far right », NBC News, 27/07/2020, https://www.nbcnews.com/news/us-news/jihadist-plots-used-be-u-s-europe-s-biggest-terrorist-n1234840
– QUEK Natasha, « Bloodbath in Christchurch : The rise of far-right terrorism », RSIS, commentary n°047, 19/03/2019. En ligne : https://www.rsis.edu.sg/wp-content/uploads/2019/03/CO19047.pdf
– VILMAUVE, « Le terrorisme d’extrême-droite », Mediapart, 31/01/2017. En ligne : https://blogs.mediapart.fr/vilmauve/blog/310117/le-terrorisme-dextreme-droite