Signé le 4 avril 1949, la création de l’Alliance s’inscrit dans projet de long terme s’articulant autour de trois objectifs : empêcher le retour du militarisme nationaliste en Europe grâce à une présence forte de l’Amérique du Nord sur le continent, encourager l’intégration politique européenne et surtout, endiguer l’expansionnisme soviétique. Membre fondateur de l’Alliance atlantique, la France n’a pas toujours été en accord avec le système mis en place, entre indépendance et réintégration, retour sur la relation ambiguë de la France et de l’OTAN.
Du rôle fondateur de la France aux points de divergences
En 1945, consciente de l’impuissance et de l’insuffisance des moyens militaires des pays européens, la France s’en remet à un engagement des Etats-Unis en Europe pour faire face à la menace soviétique. A l’origine limitée à la seule Atlantique nord, la France argue en faveur d’une extension de l’Alliance dans toutes les régions où les intérêts de l’Occident sont en cause, à l’époque en Méditerranée et au Proche-Orient, et revendique sa participation à la direction stratégique de l’Alliance.
La première friction se déroule en 1958. Les pressions américaines lors de l’affaire de la Communauté européenne de défense (CED), de la crise de Suez et le soutien apporté par les Etats-Unis au mouvement de décolonisation, plonge la France dans une crise de confiance dans l’Alliance. Cette année est marquée par le retour au pouvoir de Charles de Gaulle, méfiant vis-à-vis des Etats-Unis et notamment de la présence des forces américaines su le sol français dans le cadre de l’OTAN. Désapprouvant le système militaire intégré, il défend sa vision d’une France indépendante des Etats-Unis, devant garder le contrôle tout entier de sa défense.
Ces points de divergence se cristallisent dans le mémorandum de septembre 1958 qui aborde comme principale revendication l’absence de coordination politique en dehors de la zone OTAN et l’exigence d’un élargissement de la compétence géographique de l’OTAN, et comme axes secondaires, la remise en cause de l’intégration et l’exigence de la participation de la France à la direction de l’Alliance. Les réponses mitigées marquent un tournant.
Le point d’orgue sera l’arme nucléaire. Si d’une part les Etats-Unis souhaitent que l’Europe ait recours aux armes conventionnelles avant de recourir à l’arme nucléaire, Charles de Gaulle, de son côté considère que les armes nucléaires devraient être employées immédiatement en cas d’attaque soviétique. Les Etats-Unis étant détenteurs de l’arme nucléaire, proposent à la France de s’associer au projet d’une Force nucléaire multilatérale (MLF) lors de la rencontre anglo-américaine de Nassau, se déroulant du 17 au 21 décembre 1962, une proposition écartée par le général de Gaulle qui refuse de soumettre la défense française à celle des Etats-Unis.
Le retrait du système intégré s’explique par la subordination dans laquelle est placée la France. En effet privée d’une force efficace et autonome, l’intégration augmente les risques de participer à des conflits qui ne concerne pas la nation (guerre du Vietnam) et contraste avec la volonté du général de Gaulle de maintenir les forces françaises dans un rôle de réserve face au rideau de fer.
De la même manière, Charles de Gaulle porteur d’une vision d’une Europe européenne voie d’un mauvais œil le partnership atlantique et l’omniprésence américaine, proposée par John Fitzgerald Kennedy. L’ensemble de ces divergences abouti au retrait de l’organisation militaire intégrée.
La rupture : départ des structures du commandement intégré
En 1959, la flotte française de Méditerranée est retirée du commandement intégré de l’OTAN, puis, en 1963 le retrait des forces navales de l’Atlantique nord. En mars 1966, la décision de retirer les forces françaises terrestres et aériennes stationnées en Allemagne, affectées au commandement allié en Europe a pour effet d’entrainer le retrait simultané des commandements intégrés du SHAPE et du commandement Centre Europe, et le transfert hors France de leur siège.
En parallèle, la France demeure membre de l’Alliance et de l’OTAN. Les Etats-Unis profitent de ce retrait pour renforcer la cohésion de l’OTAN et leur suprématie sur les plans politique et stratégique, avec l’adoption du concept de riposte graduée en décembre 1967. Ils entrent même en concurrence avec la France pour faire triompher leur vision de la détente de bloc à bloc par opposition avec la détente avec l’Est, par voie de dissolution des blocs défendue par la France.
Charles de Gaulle est parvenu à atteindre son objectif puisqu’en 1969, la France est devenue une puissance nucléaire à part entière. Quelques années plus tard, lors de la rencontre des 14 au 16 décembre 1974 à la Martinique, Valéry Giscard d’Estaing et Gerald Ford s’accordent sur le fait que la coopération entre la France et l’OTAN est un facteur majeur pour la sécurité de l’Europe. La doctrine française de défense évolue vers une sanctuarisation de l’Europe occidentale et un renforcement de la coopération militaire. A titre d’illustration, lors de son discours au Bundestag le 20 janvier 1982, François Mitterrand se prononce en faveur de la mise en œuvre de la double décision prise par l’OTAN en 1979, invitant la République fédérale d’Allemagne à accueillir les fusées Pershing II et les missiles Tomahawk.
L’effondrement du bloc soviétique et la construction européenne pose la question de l’utilité de l’OTAN. Les Etats-Unis soucieux du chemin pris par François Mitterrand proposent de nouveaux concepts stratégiques, illustrant leur conception d’une Alliance politique plus que militaire, lors du sommet de Londres des 5 et 6 juillet 1990. Le président français préfère pour sa part, accentuer la création de l’entité européenne de défense, en lançant avec Helmut Kohl, le 6 décembre 1991 l’initiative d’une « véritable politique étrangère et de sécurité commune ».
Les années 90 sont marquées par la construction européenne, ce n’est qu’au début des années 2000, avec les attentats terroristes que la France va se rapprocher de nouveau du dispositif militaire atlantique.
La réintégration et l’objectif de conciliation
Au début des années 2000, les Etats-Unis souhaitent faire évoluer le rôle de l’OTAN a une organisation polyvalente. Jacques Chirac, lors du sommet d’Istanbul se déroulant les 28 et 29 juin 2004, s’oppose au projet d’implication de l’OTAN dans le processus de stabilisation en Irak. Pourtant, la France va renforcer son implication dans les opérations, tel est le cas dans la Force internationale d’assistance à la sécurité en Afghanistan, où l’assentiment français a été donné à l’OTAN en avril 2003 pour prendre en main le maintient de la paix et élargir son dispositif, le tout sous commandement américain.
De même, en avril 2008, au sommet de l’OTAN à Bucarest, la France accepte d’envoyer des troupes supplémentaires en Afghanistan. Dès lors, l’annonce du retour de la France dans les structures du commandement intégré, par le président Nicolas Sarkozy le 17 juin 2008 n’a rien d’étonnant et marque le tournant de la lente politique de rapprochement, entamée en 1995.
En 2019, la question de l’OTAN est relancée par le président français Emmanuel Macron à la suite de l’offensive militaire turc dans le nord-est de la Syrie, offensive menée par la Turquie, membre de l’OTAN sans coordination avec les autres membres, du désengagement américain en Syrie. L’avenir de l’article 5 du traité atlantique, prévoyant une solidarité militaire entre membres de l’Alliance si l’un d’entre eux est attaqué, interrogeait puisque selon le président français « nous nous sommes engagés pour lutter contre Daech. Le paradoxe, c’est que la décision américaine et l’offensive turque dans les deux cas ont un même résultat : le sacrifice de nos partenaires sur le terrain qui se sont battus contre Daech, les Forces Démocratiques Syriennes».
Après avoir parlé de « mot cérébrale de l’OTAN » et mis en avant sa volonté de relancer unilatéralement le dialogue avec la Russie, Emmanuel Macron a développé une position plus réaliste de la relation entre renforcement de l’autonomie européenne et appartenance à l’OTAN. En effet, l’un ne peut pas aller sans l’autre et l’autonomie stratégique européenne doit venir renforcer la coopération transatlantique dans le cadre de l’OTAN, et ce, parce qu’il s’agit d’une condition majeure à l’acceptation du concept d’autonomie stratégique européenne, par les partenaires européens. L’enjeu qui se cache derrière l’autonomie stratégique européenne réside dans la capacité des européens à faire entendre leur voix face aux américains, dans cette optique, l’appartenance à l’OTAN offrirait un cadre de parole et de prise de décision non négligeable.
Le retour dans le commandement intégré de l’OTAN est aussi illustré par la prise de commandement de la « Force opérationnelle interarmées à très haut niveau de préparation de l’OTAN » (VJTF), par la France depuis le 1er janvier 2022. Crée en 2014 pour répondre aux crises survenues au Moyen-Orient et à la prise de la Crimée par la Russie, elle fait partie de la Force de réaction de l’OTAN qui compte 40 000 militaires et comporte une brigade multinationale de 5 000 militaires.
Si le dialogue politique est « inexistant au sein de l’Alliance atlantique » selon la ministre des armées, Florence Parly, l’OTAN reste au cœur de la défense collective et permet à la France d’adopter une politique étrangère forte et engagée quelque peu soumise à la volonté et aux moyens américains. Si la solution de quitter l’OTAN ou les structures intégrées n’est pas sur la table des discussions pour le moment, elle conduirait la France à revoir sa politique étrangère et ses engagements, ce qui aurait pour conséquence de la rétrograder sur la scène internationale.
Sources :
La France et l’OTAN : une histoire | Cairn.info
Pour Emmanuel Macron, l’Otan est en état de «mort cérébrale» (lefigaro.fr)
OTAN : LA FRANCE PREND UN COMMANDEMENT IMPORTANT EN JANVIER – Magazine Raids