Le 11 janvier 2013, le Mali, pays en crise profonde depuis le coup d’Etat de 2012, fait appel à la France pour venir en aide aux forces maliennes. Ces dernières sont engagées dans la lutte contre l’avancée des groupes armés islamistes, s’apprêtant à prendre le contrôle sur la capitale malienne Bamako. Le président français de l’époque, François Hollande, décide le jour-même de déployer des soldats qui viennent soutenir l’effectif malien. L’opération militaire « Serval » est née, grâce à laquelle les troupes françaises et africaines parviennent à repousser les terroristes. Pourtant, des troupes françaises restent encore présentes sur ce terrain aujourd’hui : l’opération « Barkhane » a repris le relais, en s’inscrivant dans le cadre de la lutte contre le terrorisme dans la région du Sahel.
La France n’est pas venue en aide au Mali seule : plusieurs pays africains, comme le Nigéria, ont également envoyé des troupes afin de soutenir le combat contre les groupes armés islamistes et ont ainsi contribué à l’accomplissement de la mission « Serval ». La MISMA (« Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine »), une mission militaire initiée par la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), avait déjà été mise en place en fin de l’année 2012, avant l’opération française. Néanmoins, la mise en place de cette mission a pris du temps et ce n’est qu’après le déploiement de l’armée française que les premiers soldats de la MISMA sont arrivés sur le terrain malien [1].
Ainsi, l’intervention militaire française est un exemple qui soulève à nouveau le débat sur la capacité réelle des forces africaines dans le domaine de maintien de la paix et de la gestion des conflits. « L’africanisation » des opérations de maintien de la paix (c’est-à-dire la mise en place et la gestion de ces opérations par les Etats africains eux-mêmes, en s’appuyant le moins possible sur le soutien d’autres Etats) est fortement souhaitée, tant par les Etats africains que par la communauté internationale. Elle est d’autant plus nécessaire que, selon le rapport annuel de l’Uppsala Conflict Data Program, l’Afrique a été le continent le plus violent pendant le quart de siècle 1989-2014 [2]. Il faut signaler que selon ce même rapport, les chiffres se sont améliorés en Afrique ces dernières années. Néanmoins, cette carte de 2015 montre le nombre important de conflits violents qui continuent à affecter l’Afrique. De plus, 8 des 15 opérations de maintien de la paix de l’ONU actuellement en cours se déroulent sur le continent africain [4].
La régionalisation des missions de paix
Il y a une volonté forte des Etats africains de répondre eux-mêmes à ces défis de sécurité et de paix auxquels ils sont confrontés sur leur continent. Il ne s’agit pas d’abandonner la coordination (nécessaire) avec l’ONU et d’autres Etats non-africains, mais plutôt d’être capable de gérer les conflits eux-mêmes, de manière indépendante et dans un cadre régional. Cette volonté s’inscrit dans une tendance mondiale qu’on a pu observer depuis la fin de la Guerre froide : la régionalisation des missions de la paix [5].
Des tels accords régionaux sont traités par la Charte des Nations Unies dans son chapitre VIII. La Charte autorise expressément leur mise en œuvre dans l’objectif de résoudre les conflits régionaux. L’article 52 de la Charte énonce ainsi : « Aucune disposition de la présente Charte ne s’oppose à l’existence d’accords ou d’organismes régionaux destinés à régler les affaires qui, touchant au maintien de la paix et de la sécurité internationales, se prêtent à une action de caractère régional, pourvu que ces accords ou ces organismes et leur activité soient compatibles avec les buts et les principes des Nations Unies. » [6]
Une telle régionalisation de la gestion des conflits violents est néanmoins parfois accueillie avec scepticisme [7]. Il y a naturellement le risque que les puissances économiques et politiques influencent la politique de sécurité et de défense, au détriment des autres Etats. De plus, les instruments régionaux disposent des ressources beaucoup moins importantes que les mécanismes mondiaux, ce qui est particulièrement vrai pour l’Union africaine. Son budget dépend en grande majorité de ses partenaires internationaux – en 2017, trois quarts de son budget exécutif adopté (782 millions dollars) proviennent de ses partenaires. [8]
D’un autre côté, la régionalisation des missions de maintien de la paix est devenue nécessaire, surtout pour les Etats en développement : ils ne peuvent plus compter sur l’aide militaire et financière des Etats développés. On constate surtout dans les Etats occidentaux une réticence à effectuer des opérations de maintien de la paix, tant pour des raisons de politique intérieure que pour des raisons budgétaires. Mises à part ces considérations des puissances militaires occidentales, il faut surtout noter que les Etats africains ont la volonté d’assumer leur responsabilité et de gérer les conflits sur leur territoire par leurs propres moyens. Ils ne veulent plus dépendre des Etats militairement puissants, surtout de ceux qui ont une présence économique forte sur leur territoire. Il s’agit donc pour les Etats africains de manifester leur souveraineté, leur autonomie et leur indépendance.
Le projet de la force africaine en attente
Comment réussir alors à cette gestion indépendante des missions de maintien de la paix ? L’Union africaine (UA), qui regroupe les 55 états du continent africain, a défini en 2002 les principaux piliers de l’AAPS, « l’Architecture de paix et de sécurité africaine ». Il s’agit d’une stratégie générale, qui a pour vocation de permettre à l’UA de gérer les conflits sur le territoire africain. L’AAPS ne prévoit pas seulement des organes décisionnels et administratifs, comme le Conseil de paix et de sécurité (CPS), mais également un composant militaire : la Force Africaine en Attente (FAA). [9] Parler de la FAA, c’est en quelque sorte parler des casques bleus de l’Union africaine : c’est une troupe non-stationnée, prête à être déployée à tout moment sur tout le continent africain. Ses tâches sont de nature aussi bien civile que militaire et visent à donner à l’UA la capacité d’assurer ses responsabilités en matière de sécurité, défense et paix en Afrique. L’UA peut donc faire appel à cette force pour des services de conseils militaires, des observations ou des assistances humanitaires. Si la situation nécessite une intervention plus importante, la FAA peut être déployée dans le cadre d’une mission de maintien ou d’imposition de la paix. [10]. C’est le caractère régional de la FAA qui fait toute sa particularité. Elle est composée de cinq brigades régionales mises en place dans les cinq régions respectives du continent africain (Afrique australe ; Afrique de l’Est ; Afrique du Nord ; Afrique de l’Ouest ; Afrique centrale). Les communautés économiques régionales, des organes sous-régionaux de l’UA, sont également impliquées dans le processus, ce qui donne à la FAA son caractère régional et décentralisé. Il a été prévu que chaque région constitue une brigade de 5 000 soldats afin que la FAA dispose d’un effectif total d’au moins 25 000 soldats. [11]
Les difficultés de la mise en oeuvre de la FAA
Une feuille de route adoptée par l’UA en 2005 a énoncé comme objectif l’opérationnalité de la FAA avant 2010. Or, ce n’est qu’en janvier 2016 qu’on a déclaré que la FAA avait atteint sa pleine force opérationnelle lors du sommet de l’UA à Addis-Abeba (Ethiopie) [12]. Dans l’ensemble, on peut constater un « véritable décalage entre le discours et la réalité, entre le concept élaboré en 2003 et le processus de la mise en œuvre effective de la FAA » [13]. La lenteur de la mise en œuvre de la FAA est surtout due à trois facteurs [14] :
Premièrement, de nombreuses questions de compétence se posaient et continuent à se poser. Même si l’approche régionale de la FAA est dotée de nombreux avantages, il faut bien délimiter les compétences des organisations régionales, qui servent de fondation aux cinq brigades régionales, et celles de l’Union africaine. De plus, il se pose la question de la légalité d’un déploiement de la FAA en absence du mandat donné par le Conseil de sécurité de l’ONU.
Deuxièmement, la mise en œuvre de la FAA a été entravée par le budget restreint de l’UA et des organisations régionales. Elle dépend du soutien financier extérieur, notamment de l’UE et des Etats-Unis, pour pouvoir financer les opérations de maintien de la paix et équiper la force avec le matériel nécessaire et adéquate.
Dernièrement, il ne faut pas oublier que l’Union africaine regroupe 55 Etats étendus sur un territoire dont la superficie est supérieure à celle des territoires de l’Inde, de la Chine, des Etats-Unis et de l’Union européenne réunis. Cette hétérogénéité rend nécessairement le processus de prise de décision très difficile.
L’opérationnalité de la FAA aujourd’hui : une réalité ?
Le projet ambitieux de la FAA a donc été confronté à des nombreuses difficultés, qui ont ralenti son processus de la mise en œuvre. En novembre 2016, le Président du Niger, Mahamadou Issoufou, a constaté que « près de 60 ans après leur indépendance, les pays Africains continuent à compter sur des puissances extérieures pour assurer la sécurité de leur frontière » [15].
En attendant l’opérationnalité de la FAA, un autre projet a été mis en place : la CARIC (Capacité africaine de réponse immédiate aux crises) [16]. Contrairement à la FAA, le déploiement de la CARIC est géré par le Conseil de paix et sécurité, donc au niveau suprarégional de l’UA, et fonctionne sur la base du volontariat. Or, seulement une dizaine des Etats membres de l’UA est prêt à contribuer à la CARIC, ce qui montre à nouveau la divergence des volontés politiques au sein de l’UA quant aux domaines de la sécurité et de la défense.
Même si la FAA est déclarée opérationnelle depuis début 2016, il est difficile d’apprécier l’étendu de cette opérationnalité. Est-elle réalité ou seulement volonté politique ? La force africaine en attente serait-elle capable à l’avenir de répondre à des crises comme celle au Mali en 2013, qui a finalement nécessité l’intervention des troupes françaises ?
Quoi qu’il en soit, pour que le projet de la FAA soit une réussite, il ne faut pas seulement des ressources suffisantes, un bon fonctionnement des institutions et une collaboration étroite avec l’ONU. Il faut également la volonté politique des Etats de faire avancer ce projet et de travailler ensemble afin de réaliser ce transfert de responsabilité aux acteurs régionaux – un transfert qui n’est pas seulement souhaitable, mais également nécessaire aujourd’hui.
Ecrit par Maren Rimbach
Sources :
[1] http://www.operationspaix.net/167-historique-misma.html
[2] http://www.pcr.uu.se/digitalAssets/61/c_61335-l_1-k_ucdp-paper-9.pdf, p. 1
[4] http://www.un.org/fr/peacekeeping/operations/current.shtml
[6] http://www.un.org/fr/sections/un-charter/chapter-viii/index.html
[9] http://www.operationspaix.net/15-fiche-d-information-de-l-organisation-ua.html
[10] http://www.operationspaix.net/53-resources/details-lexique/force-africaine-en-attente.html
[13] Nzaou, E. P. (2016). La Force africaine en attente (FAA): quelle opérationnalité́? Paris: L’Harmattan, p. 29
[14] http://www.css.ethz.ch/content/dam/ethz/special-interest/gess/cis/center-for-securities-studies/pdfs/CSS-Analysen-84-FR.pdf, p. 3 ; http://ddc.arte.tv/cartes/717