Mardi 13 mars 2018, le premier ministre irakien Haider al-Abadi a déclaré mettre un terme au blocus aérien établi depuis septembre 2017 sur le territoire du gouvernement autonome kurde d’Irak. Mais quelles sont les raisons d’un tel embargo ? Quelle est la situation actuelle au nord-est de l’Irak ?
Quelques éléments de contextualisation
Au Moyen-Orient, la population kurde se trouve majoritairement répartie sur quatre pays : l’Iran, la Turquie, la Syrie et l’Irak. Bien qu’il soit difficile d’établir des chiffres précis, pour avoir un ordre d’idée, la population kurde avoisine les 15 millions en Turquie, (20% de la population), 6 à 7 millions en Iran (entre 8 et 10 % de la population), 2 millions en Syrie à la veille de la révolution (9% de la population), et 5 millions en Irak (22% de la population).
Pour comprendre la situation des kurdes en Irak, il faut se replacer au lendemain de l’indépendance de l’Irak en 1932. A l’époque, alors que le pays oscille entre monarchies et coups d’Etat, le parti Baas prend de l’importance jusqu’à mener en 1979 Saddam Hussein à la tête du pays. L’arabité étant au centre du projet politique, les kurdes qui présentaient une potentielle menace ont été exclus et violemment réprimés. La population kurde s’est alors retrouvée relativement isolée. Au début des années 80, une guerre meurtrière éclate en Irak et Saddam Hussein lance des opérations d’oppression forte avec pour objectif l’arabisation de la zone pétrolière de Kirkouk. A ce titre, l’utilisation d’armes chimiques par le régime lors des campagnes militaires « Anfal » à Halabja de 1987 et 1988 a entraîné la mort de plus de 4000 kurdes irakiens et la destruction de 2000 villages. A la suite du soulèvement des kurdes au nord et des chiites au sud de l’Irak en février 1991 et de la répression violente de Bagdad, une zone de protection aérienne a été instaurée par les Etats-Unis. C’est grâce à cette protection que les kurdes ont pu mettre en place une zone autonome avec les premières élections d’un Parlement qui s’installe à Erbil en mai 1992.
Après la chute du régime de Saddam Hussein en 2003, une nouvelle Constitution voit le jour en 2005 en Irak. Cette dernière prône un Etat fédéral, démocratique et pluraliste dont les deux langues officielles sont l’arabe et le kurde. La langue kurde est donc constitutionnellement reconnue. Par ailleurs, la Constitution prévoit une répartition du pouvoir en Irak à l’image du Liban, à savoir un Président de la République kurde, un président du Parlement Sunnite, et un Premier Ministre Chiite. Même si cette répartition communautaire propice au marchandage permanent n’est pas le meilleur gage de stabilité politique à terme, pour les kurdes cela reste une avancée considérable.
L’embargo sur le gouvernement autonome irakien : les raisons de sa mise en place et de sa levée
Le 25 septembre 2017, sur décision du chef du parti PDK (Parti Démocratique du Kurdistan), Massoud Barzani, un référendum sur l’indépendance du Kurdistan irakien s’est tenu sur le territoire du gouvernement autonome et sur les territoires qu’il occupe.
Le référendum s’est soldé par 92,96% de « oui » avec plus de 70% de participation. Cependant, considérant qu’il s’agissait d’un référendum inconstitutionnel et d’une « ligne rouge » qui remettrait en question l’unité irakienne, le gouvernement de Bagdad a immédiatement réagi en mettant sous embargo les frontières terrestres et aériennes du gouvernement autonome. De même, la communauté internationale a condamné l’illicéité dudit référendum.
Après la décision de Massoud Barzani de démissionner, le gouvernement autonome d’Irak a donc vécu sous embargo aérien et terrestre durant 6 mois. Ce n’est que récemment, le 13 mars 2018, que le premier ministre irakien Haider al-Abadi a déclaré mettre un terme au blocus aérien. Cette décision fait suite à l’acceptation des autorités locales du Kurdistan de laisser les autorités centrales reprendre « le contrôle des deux aéroports ».
Quel avenir pour la zone de Kirkouk ?
La zone de Kirkouk est un espace situé au delà des frontières du gouvernement autonome irakien mais qui depuis 2003 était contrôlée par les kurdes. A la suite de l’annonce de la tenue d’un référendum le 25 septembre 2017, Bagdad a repris par la force ces « territoires disputés ». Le Kurdistan irakien a ainsi perdu une ressource pétrolière considérable, laquelle aurait pu leur assurer une viabilité économique.
Aujourd’hui, les relations entre Bagdad et le gouvernement autonome irakien sont en train de se normaliser et des négociations devraient aboutir sur un accord. D’après les calculs de certains économistes, la partie du budget irakien qui est attribuée au gouvernement autonome est plus importante que ce que les ressources pétrolières de Kirkouk ne pourraient rapporter. Si ces calculs s’avéraient justes, les kurdes auraient tout intérêt à rester dans le système fédéral.
Lily COISMAN
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Sitographie
http://www.lemonde.fr/moyen-orient-irak/article/2017/10/29/kurdistan-irakien-barzani-renonce-a-etre-president-apres-le-1er-novembre_5207529_1667109.html
http://www.liberation.fr/planete/2018/03/13/bagdad-annonce-la-levee-du-blocus-aerien-du-kurdistan_1635806