Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, l’ensemble de la communauté internationale s’allie pour mettre fin à la guerre dans le monde en s’efforçant de maintenir la paix et la sécurité internationales, de développer les relations entre les nations, de réaliser une coopération internationale, tout ceci grâce à un centre d’harmonisation des efforts des nations (1) : les Nations Unies sont nées. Adoptée lors de la conférence de San Francisco le 26 juin 1945, la Charte des Nations unies affiche rapidement une carence juridique quant à la définition de droits et libertés élémentaires quand les crimes de l’Allemagne nazie sont découverts. S’engageant à ne plus jamais laisser se reproduire de telles atrocités, la communauté internationale décida alors de renforcer la Charte par une déclaration garantissant de manière universelle les droits de chaque personne.
- Rédaction et ratification de la Déclaration
En 1946 est ainsi créée par le Conseil économique et social (l’un des principaux organes de l’ONU) une Commission des droits de l’Homme chargée de l’élaboration, au moyen d’un Comité de rédaction, de cette charte internationale. Le Comité, présidé par Eleanor Roosevelt, est composé de huit membres (dont René Cassin qui rédige le premier texte et le texte final) qui s’affairent de 1947 à 1948 à la rédaction d’une déclaration aussi universelle que possible.
Consensus et compromis
En effet, si certains droits et libertés apparaissent aux yeux de tous comme des dispositions essentielles, les visions divergent sur d’autres éléments, notamment alors que le monde se divise de plus en plus entre un bloc occidental et un bloc soviétique (le « tiers-monde » sous domination coloniale n’étant pas représenté). Les débats devaient donc aboutir à un consensus sur « la valeur suprême de l’être humain » (Hernán Santa Cruz, représentant du Chili), valeur dans laquelle devaient se retrouver les conceptions des populations du monde entier, ce qui amena M. Chang, représentant de la Chine, à insister sur le fait que la Déclaration ne devait pas être le reflet des seules idées occidentales. (3)
Des compromis ont alors dû être trouvés. Si la réalisation des droits et libertés primaires (comme la présomption d’innocence trouvée à l’article 11 ou le droit à la protection de la loi contre toute immixtion arbitraire dans sa vie privée trouvé à l’article 12) implique une abstention de l’État, la protection des droits et libertés de portée économique (dits de deuxième génération) nécessite une intervention étatique volontariste : l’article 22 subordonne cette satisfaction à « l’effort national et à la coopération internationale, compte tenu de l’organisation et des ressources de chaque pays. » De la même manière, un compromis entre pays communistes et pays occidentaux fut trouvé sur le thème déterminant de la propriété, et l’article 17 dispose ainsi que « toute personne, aussi bien seule qu’en collectivité, a droit à la propriété. » (4)
Adoption
Le texte final, rédigé par le Professeur René Cassin, fut remis par la Commission des droits de l’homme réunie à Genève au Conseil économique et social (ECOSOC) qui décida de le transmettre directement à la Commission des questions sociales, humanitaires et culturelles de l’Assemblée générale réunie à Paris du 30 septembre au 7 décembre 1948. Plus de 50 États membres participèrent à la rédaction finale de la Déclaration, et le projet de Déclaration fut adopté le 7 décembre par 29 voix pour et 7 abstentions. (5)
Finalement, l’Assemblée générale des Nations unies, réunie en session plénière adopta, le 10 décembre 1948, la résolution 217 (III) comprenant la « Déclaration universelle des droits de l’homme », par 48 votes en faveur et huit abstentions (Afrique du Sud, Biélorussie, Tchécoslovaquie, Pologne, Arabie Saoudite, Ukraine, URSS, Yougoslavie). En effet, les discordes relatives à l’opposition droits primaires – droits économiques demeuraient avec les États communistes, alors que l’Afrique du Sud en situation d’apartheid refusait de reconnaître une égalité entre citoyens de races différentes, et que l’Arabie Saoudite désapprouvait l’égalité proclamée entre les hommes et les femmes.
2. Postérité et portée
Inspirations et contestations
De manière générale, la DUDH s’inspire de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, mais elle reprend le travail pionnier qui avait été effectué par l’UNESCO, laissant apparaître un antagonisme qui se manifestera dans la singularité de la Déclaration onusienne de 1948. Alors que notre DDHC révolutionnaire ne faisait que reconnaître et déclarer des droits « naturels, inaliénables et sacrés de l’homme » (6), le rapport de l’organisation internationale souligne qu’en intégrant des droits sociaux et économiques, les individus ne peuvent plus demeurer passifs. Une déclaration qui oblige la société à fournir certains services (éducation, sécurité sociale…) doit nécessairement « mettre l’individu dans l’obligation de participer à leur production » (Edward H. Carr), de telle sorte qu’à la déclaration des droits s’ajoute subtilement une déclaration des obligations. Mettant l’accent sur ces nouveaux droits sociaux et économiques, le rapport critiquait l’idée même de droits de l’homme car cela donnerait une trop grande importance à l’homme pris individuellement, et les intervenants souhaitaient insister sur la dimension collective de l’humanité : les droits et libertés ne peuvent pas être individuels car ils ne peuvent s’apprécier qu’en confrontation avec la société dans laquelle nous vivons, société qui fournit ses normes propres. Enfin, le groupe de travail de l’UNESCO critiquait l’appellation « universelle », car selon eux les droits de l’homme sont liés à la culture et à la société dans lesquelles vivent les individus, et ne peuvent donc prétendre satisfaire l’ensemble du monde (7).
Portée juridique
En dépit de ces réserves, la Déclaration fut effectivement proclamée à l’issue d’une résolution onusienne. Cependant, elle resta au stade de résolution : la DUDH à l’origine n’a, ni ne cherche à avoir, aucune force contraignante. John Humphrey, premier directeur de la Division des droits de l’homme à l’ONU et membre du Comité de rédaction, déclara à ce propos : « La Déclaration universelle des droits de l’homme fut adoptée en 1948 comme une simple résolution de l’Assemblée générale ; elle n’avait pas, pour cette raison, de valeur juridique et elle n’était pas censée lier les États. » (9) Dès la rédaction, la plupart des délégations considéraient que la Déclaration constituait un document qui ne devait pas s’imposer aux États, notamment afin que le texte puisse faire l’objet d’un consensus (10), un texte doté d’une simple portée morale.
Finalement, malgré l’absence de réelle force obligatoire intrinsèque, la portée juridique de la Déclaration est bien présente dans l’ensemble de la communauté internationale. Ayant inspiré des traités et des déclarations partout dans le monde (12) comme la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) de 1950, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples en 1981, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ou encore le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966, la Déclaration universelle des droits de l’homme constitue donc, grâce à ses valeurs, un fondement du droit international.
Bibliographie :
Le texte de la Déclaration : http://www.un.org/fr/universal-declaration-human-rights/
- http://www.un.org/fr/sections/un-charter/chapter-i/index.html
- https://www.flickr.com/photos/un_photo/37493970551
- http://www.un.org/fr/sections/universal-declaration/history-document/index.html
- http://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/citoyen/approfondissements/declaration-universelle-droits-homme-1948-convention-europeenne-sauvegarde-droits-homme-libertes-fondamentales-1950.html
- http://research.un.org/fr/undhr/ga/thirdcommittee
- http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/la-constitution/la-constitution-du-4-octobre-1958/declaration-des-droits-de-l-homme-et-du-citoyen-de-1789.5076.html
- http://unesdoc.unesco.org/images/0015/001550/155041fb.pdf
- https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Eleanor_Roosevelt_and_Human_Rights_Declaration.jpg
- In : magazine Justice, décembre 1986, volume V, numéro 8, p. 16. Tous droits réservés. (Bibliothèque nationale du Québec, ISSN 0707-8501) www.biblinat.gouv.qc.ca
- Le statut juridique de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, thèse de Marc GAMBARAZA soutenue le 18 décembre 2013 à l’Université Panthéon-Assas
- http://www.icj-cij.org/fr/affaire/64 ; http://www.icj-cij.org/files/case-related/64/6292.pdf
- https://treaties.un.org/pages/Treaties.aspx?id=4&subid=A&lang=fr
Présentation de Louise Le Gatt, auteure de cet article :
Louise Le Gatt est étudiante en troisième année de double-licence Droit-Économie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et se spécialisera pour son Master en Droit international. Passionnée par les relations internationales, c’est tout naturellement qu’elle a décidé de rejoindre l’équipe de Sorbonne ONU dédiée aux problématiques des conflits armés et des processus de paix afin d’apporter son regard à la fois économique et juridique, toujours pragmatique, sur ces thèmes complexes.