La mer Méditerranée « à l’histoire encore brûlante », selon l’historien Fernand Braudel, est aujourd’hui souvent considérée comme une frontière, entre trois continents, l’Europe, l’Afrique et l’Asie mineure, là où se rencontrent le monde arabo-musulman, relativement homogène par sa culture et les régimes politiques, souvent autoritaires et religieux, qui y sont à l’oeuvre mais caractérisé par des différences de développement, et l’Occident, ensemble spatial politique, économique et culturel hétérogène. Yves Lacoste insiste ainsi sur le fait que la Méditerranée n’est pas une ligne de partage naturelle, bordée par les marges de deux entités géographiques et politiques distinctes, mais plutôt qu’elle constitue une zone géopolitique large de plusieurs centaines de kilomètres du nord au sud au sein de laquelle de nombreuses rivalités de pouvoir se donnent à voir et évoluent continuellement. La stabilité de cet espace maritime et de ses zones littorales est un enjeu majeur pour de nombreux acteurs dans la mesure où les intérêts qui y sont présents pour ceux-ci sont eux-mêmes considérables.
D’une part, espace intégré de la mondialisation, cette mer est bordée par des ports d’envergure internationale tels que Tanger Med situé sur la côte marocaine et plus grand port d’Afrique en terme de porte-conteneurs, ou encore Port-Saïd situé en Égypte à l’entrée orientale du Canal de Suez. Le commerce maritime mondial transite à hauteur de 20% par les eaux méditerranéennes. La Méditerranée est traversée de part et d’autre par un certain nombre de gazoducs et par de nombreux câbles sous-marins, supports nécessaires des flux d’information. Absolument stratégiques pour les États qu’ils relient, ces câbles font l’objet d’une surveillance particulière. Finalement, plus de 200 millions de passagers traversent annuellement cette mer. La sécurité de la Méditerranée est ainsi un enjeu majeur pour les acteurs de la région, puissances étatiques et organisations régionales, FTN et populations, mais aussi pour des acteurs extérieurs tels que la Chine par exemple, qui veut faire de la mer Méditerranée un axe de ses nouvelles routes maritimes de la soie.
D’autre part, les menaces factuelles de la stabilité sont elles aussi nombreuses et mettent à mal, de façon récurrente ou ponctuelle, l’équilibre de cette région. Les flux migratoires illégaux, les flux commerciaux de l’économie grise, les changements climatiques à venir sont autant d’éléments qui participent à l’instabilité géopolitique des territoires et merritoires méditerranéens. Toutefois, c’est le fait religieux qui est le premier élément avancé pour décrire l’opposition entre les deux rives de la Mare Nostrum, motivant en partie l’attention particulière portée à la surveillance de la mer Méditerranée tant par les pays riverains que par des puissances extérieures, en témoigne la présence de la VIè flotte de l’US Navy en Méditerranée orientale. Le bassin levantin est actuellement le théâtre du regain des tensions entre les civilisations occidentale et musulmane, aussi critiquable soit leur définition, théorisées par S. Huntington. Les Printemps arabes ainsi que la guerre en Syrie, tantôt contre les forces armées djihadistes, tantôt contre les rebelles syriens, ainsi que la reprise tout à fait récente du conflit israélo-palestinien sont autant de facteurs d’instabilité sur les rives sud et est du pourtour méditerranéen. De plus, le président turc Erdoğan semble avoir engagé son pays, certes musulman mais aussi membre fondateur de l’OTAN et à la tradition laïque aujourd’hui questionnable, dans un rapprochement avec ces ennemis historiques, les nations arabes (bien que les relations de pouvoir à l’oeuvre dans les mondes arabes et musulmans relèvent d’imbrications plus complexes). Le déploiement de navires turcs dans les eaux chypriotes suite à la découverte de gisements gaziers et la contestation du partage des eaux méditerranéennes matérialisée par l’accord avec la Lybie de Fayez el-Sarraj, réaffirmé en avril 2021 par son successeur, illustrent ce nouveau rôle que veut se donner la Turquie d’Erdoğan. La rive nord du bassin méditerranéen est quant à elle marquée par une unité politico-économique relative consacrée par l’existence d’organisations régionales telles que l’Union européenne et l’OTAN tandis que les discours politiques qui y sont tenus semblent révélateur d’une volonté de ralentissement de l’effort de coopération entretenue avec les autres pays riverains depuis la décolonisation et qu’avait semblé consacrer la création de l’Union pour la Méditerranée à la suite de la réaffirmation du Processus de Barcelone en 2005.